J’étais l’autre jour au Luxembourg, le jardin. Des hommes, une vingtaine, et une femme – personne en dessous de 60 ans – jouaient à la pétanque sur trois cours déblayés de la neige. Adolescent, je jouais en club, le seul jeune et j’étais plutôt bon, bien sûr. Après j’ai arrêté, parce que le mot pétanque n’éveillait rien dans l’œil des filles. J’ai fait de la natation et du saut en hauteur et j’ai oublié la pétanque.Au Luxembourg, j’ai observé les joueurs, mitaines, pas mitaines, casquettes, bonnets, ramasse boule magnétique et deux ou trois pensées me sont venues comme des évidences auxquelles je n’avais jamais songé.

Préambule : Pas de tenue particulière, un jeu de boules pour le prix de Claudel dans la Pléïade (entre les deux c’est vite vu) et un bob en été, telle est la pétanque, un sport économique et démocratique, qui se joue aussi bien en individuel qu’en équipe, sur des terrains aménagés ou pas et qui développe la sociabilité. Fin du préambule.

Mais au-delà du bénéfice sociétal, la pétanque est une leçon de vie. il y a un satori de la pétanque.

La pétanque est au sport ce que le haiku est à la poésie, ou la calligraphie au pinceau dans la philosophie du Shodo, une discipline qui se joue sur un geste unique, une expression, le lancer. Le joueur mentalise son geste et la trajectoire du lancer. Le lancer est une pensée qui explose en un seul geste. Un seul lancer a le pouvoir de tout défaire ou de tout construire. À chaque lancer, et ce, quel que soit le joueur ou la joueuse (10% de femmes selon la fédération), une seule boule peut tout changer, faire basculer la partie et dévoiler un paysage nouveau. Une boule peut chasser celle de l’adversaire et renverser le jeu, ou au contraire favoriser l’adversaire en poussant l’une de ses boules vers le point, elle peut exploser le jeu, et là c’est comme après la guerre, il faut tout reconstruire, ou encore se perdre au fond du terrain sans rien changer. À chaque geste tout peut arriver, jusqu’au dégagement du cochonnet qui nie tout ce qui est advenu et ramène tout le monde à la position de départ. Peu de sports peuvent se vanter d’une telle dramaturgie.

La successions de lancers et la fréquence des retournements de situation en font, par ailleurs, une activité de loin plus rapide et plus violente, psychologiquement, que le foot ou la formule 1. Mais ça ne se voit pas. Cette violence est intériorisée. Le bouliste, impassible, ne hurle pas à chaque point, il ne fait pas de ola, de cabrioles après le but, ne prend pas de pose grotesque, ne gaspille pas le champagne sur les podiums, ne hurle pas qu’il est le meilleur, autant de manifestations ridicules d’adultes encore enfants que le compétiteur abandonne aux autres sports populaires. Le bouliste maîtrise ses émotions et observe avec l’œil sage et détaché d’un dieu depuis l’empyrée, les luttes imprévisibles qui affolent ces petites planètes de métal dont l’ordre en perpétuelle révolution est à l’image de la fragile et pathétique condition humaine. Ça c’est la pétanque, un satori ou un enseignement existentiel.

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