Il n’y a jamais d’enfants dans les films anglais. À l’exception des films dont c’est bien évidemment le sujet, comme il y a des noirs quand il s’agit de jazz, de boxe ou d’esclavage. Les films anglais avec enfants s’appellent Lord Fontenoy, Oliver Twist, Billy Elliot, Sa majesté des mouches et quelques autres… L’enfant en est le sujet principal. Sinon il n’existe pas. Ni chez Guy Ritchie, ni chez Stanley Kubrick, ni chez les Monty Python, pour prendre des univers différents. Ni chez Hitchcock, ni chez David Lean, ni chez Ridley Scott, ni chez Ken Loach. L’enfant ne vient pas gêner le couple avec son verre de Chardonay ni la bande de chômeurs en quête d’idées de réinsertion. Il est rarement dans le paysage, et pas non plus en train de dormir dans la chambre du haut. Il n’est pas admis dans les pubs (je ne parle pas de la publicité, mais des pubs avec la bière et les trucs gras à manger. Comme si on interdisait les enfants dans les cafés).  L’enfant est banni du cinéma anglais (probablement aussi de la société, j’y reviendrai).

Ce qui n’empêche pas d’excellents films.

À l’inverse, il pullule dans les film américains. Il est partout : pour culpabiliser le héros qui désamorce des bombes ou dégomme des forcenés mais oublie d’emmener son fils au match, ou pour énerver le héros parce que la prunelle de ses yeux s’est faite enlever par de sales trafiquants d’armes, de drogues et de secrets nucléaires. Ou alors le héros flic a un pote de dix ans qui semble s’épanouir dans un quartier mal famé et avec qui il échange des trucs et qui le rencarde sur les gars pas sympas du quartier. Sinon c’est le fils de la sœur du héros qui risque de tourner mal si son oncle ne s’en mêle pas. Quand ça n’est pas toute une classe qu’un terroriste menace de faire sauter dans le bus scolaire. On ne compte plus les fois où le père, ce héros, doit mettre sa vie en danger pour aller délivrer son enfant. Mel Gibson, Bruce Willis, Liam Neeson, même Schwartzeneger dans Commando, on kidnappe sa fille Jenny, et même Clint Eastwood dans Cry macho, il ramène un enfant du Mexique, et même Tom Hanks dans La Mission, il accompagne une enfant de dix ans sur des centaines de kilomètres, comme John Wayne dans True Gritt ou Jeff Bridges dans le remake. Les femmes aussi, ça leur tient à cœur. De Gena Rowlands dans Gloria à Linda Hamilton dans Terminator qui doit sauver son enfant qui va nous sauver dans le futur, elles ont dû accepter des enfants dans leurs films, comme Indiana Jones. Même dans Le Parrain, il y a des enfants, baptêmes et mariages, c’est pas les occasions qui manquent.

Et je ne parle pas des comédies familiales. Les Américains, au cinéma, se roulent dans la famille, ils adorent ça.

Dans les films anglais, même dans un mariage il n’y a pas d’enfants. Pour quoi faire ?

Plusieurs explications me viennent, elles sont peut-être toutes bonnes.

Les Anglais n’aiment pas les enfants. Les enfants sont des petits singes qu’on doit éduquer avec fermeté (Oliver Twist), pour qu’ils apprennent à devenir des adultes parfaits, comme eux. Les enfants sont des êtres sans intérêt et pas terminés, des ébauches.

Les Anglais n’ont jamais été enfants, quand les Américains, c’est bien connu, le sont restés. Chez les Anglais, le passage à l’âge adulte déclenche automatiquement l’effacement des souvenirs et des émotions de l’enfance, si bien que, devenus grands, ils ne comprennent plus l’enfant qu’ils ont été. Ils ne sont plus liés à lui. Ils n’ont plus rien à voir avec cette chose rosâtre qui s’éparpille dans tous les sens sans aucune maîtrise. Ils le détestent car ils refusent l’idée qu’ils été ça. D’où leur goût pour les châtiments corporels si longtemps en vigueur. Et même chez les Royaux, il n’y a qu’à voir comment le prince Charles a été traité, enfant, par le prince Philippe qui l’a envoyé au pensionnat de Gordonstoun, sévices compris.

Les Anglais n’aiment pas la famille en général, parce qu’ils sont mal à l’aise avec toutes ces démonstrations affectives qu’il faut afficher en public pour faire croire qu’on aime la famille, tous ces trucs avec de l’émotion qui met mal à l’aise. Les Anglais n’aiment que la famille royale. C’est commode, ils ne vivent pas vraiment avec. Ils vivent la famille par procuration, avec toutes les turpitudes shakespeariennes des grandes dynasties et c’est vrai que ça a une autre allure.

Les Anglais sont des hommes et les hommes sont faits pour la finance, la guerre, le cricket et le pub, pas pour torcher le cul des singes. Les Anglais ne savent pas comment nourrir un enfant, comment le changer, l’habiller ni le filmer. Ils ne savent juste pas. Ils savent en revanche que pour faire un bon film il faut mieux aimer ce qu’on filme et savoir le filmer et donc, ils évitent de filmer ce qu’ils ne maîtrisent pas : les enfants, les femmes libres et les gens qui mangent. Dans la publicité, on ne prend jamais de réalisateur anglais pour filmer des scènes de dégustation, les scènes où l’acteur doit mordre avec volupté dans le bon camembert industriel qui bien coupé et éclairé comme il faut. Les Anglais n’ont pas les codes. Le type va prendre le fromage des deux mains ou alors il va commencer par le lécher.

Les Anglais adorent Roal Dahl et Roald Dahl détestait les enfants. Les Anglais ont choisi leur camp, celui des adultes.

Il faut ajouter à cela une considération physiologico-culturel : Les Anglais sont très attachés à l’idée d’adopter une posture qu’ils considèrent comme aristocratique, le dos très droit avec le truc du flegme en plus. Les Anglais ne font pas de bons acrobates, car ils ne sont pas souples. La colonne a tendance à se calcifier. Ils détestent se courber, car ils trouvent ça difficile (voire humiliant), or, comment un réalisateur peut-il communiquer, sur un plateau de cinéma, avec un acteur d’un mètre dix, sans se plier à cette gymnastique ?

Pour conclure, je dirais que cette réflexion critique sur le cinéma anglais ne préjuge pas de sa qualité – même s’il est en partie devenu aujourd’hui une sous-traitance du cinéma américain – et, il faut bien avouer le nombre de réalisateurs phénoménaux que les Anglais ont apporté au cinéma, sans avoir recours à des enfants, pousse à réfléchir au bien fondé de leur démarche.