Il s’agit de mon premier roman publié. Le point de départ est une contrainte formelle que je me suis imposée, comme un exercice oulipien. J’ai essayé d’éviter que le jeu n’entrave le récit, car c’est un roman, avec une histoire, des personnages etc. J’aurais préféré intituler ce roman « 160 morts », ce qui aurait été plus juste, parce que toutes ces morts ne se valent pas. Certaines sont symboliques, d’autres réelles, d’autres métaphoriques. C’est la raison pour laquelle un index en fin de roman permet de les « resituer ». J’aime beaucoup la couverture de Floc’h. C’est la directrice générale de Robert Laffont, à l’époque, qui l’a eue. On retrouve cette couverture dans la bande dessinée « Les aventures d’Oliver Alban ». Elle préexistait au roman. Ci-dessous la couverture de l’édition coréenne.
EXTRAITS :
“Specchiati in quiei riflessi, e di fralezza mortale, contempla l’imagine.”
Dante.
“Le présent n’est qu’un cimetière à retardement.”
Anonyme.
I
Marie-Agnès venait de me dire que je n’étais qu’un minable, ce dont à l’instant présent je ne doutais pas, un mauvais coup (je n’avais à vrai dire aucun élément de comparaison), qu’elle ne voulait plus me revoir, que des mecs comme moi on en trouvait à tous les coins de rues, qu’il n’y avait qu’à se baisser, et que c’était pour me rendre service qu’elle me disait tout ça, ou pour rendre service à la prochaine. Je sortais de chez elle, a priori pour la dernière fois. Et si je me lavais un peu plus souvent, avait-elle ajouté dans la cage d’escalier, notamment sous les bras, ça ne pourrait pas me faire de mal. Je croisai la concierge à ce moment-là, et elle avait haussé les sourcils, comme pour dire : “C’est vrai que c’est important, surtout sous les bras.” Mais bon, pas non plus de quoi se jeter dans la Seine.
J’étais donc là, triste quand même, sans autre envie que celle d’une Mort Subite au Relais. Je traversais la rue, quand j’ai entendu dans mon dos un bruit énorme avec tout mélangé dedans, pas du tout mixé : les pneus qui hurlent, la tôle écorchée, le pare-brise qui explose, le poids du véhicule contre le mur, le poteau qui plie, tous les petits trucs qui cassent à l’intérieur, et sans doute des os. La voiture venait de s’encastrer pile à l’endroit où je me tenais dix secondes plus tôt, devant la porte cochère de l’immeuble de Marie-Agnès.
C’est pour ça que je dis souvent que j’ai de la chance. Il valait mieux être dans ma situation que dans la voiture. Dans la voiture il n’y avait plus personne. Le conducteur avait traversé le pare-brise et s’était écrasé contre la façade, comme une tomate. Sans être médecin, on voyait bien qu’il était mort. Ensuite la concierge est sortie. Elle a hurlé en voyant le corps, la voiture aplatie et les dégâts sur sa façade. Je n’avais pas grand-chose à dire à la police ; je n’étais qu’un témoin de dos. J’ai tiré un trait sur ma bière. Je n’avais plus soif, juste envie de faire quelque chose, sans savoir quoi exactement. Alors je suis rentré chez moi.
Voilà, ça donne une idée de l’esprit.